R.G Collingwood - The Idea of History - résumé détaillé par Gilles-Christophe - mars 2022
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Levain des idées chrétiennes - Caractéristiques de l'historiographie chrétienne - Historiographie médiévale - Historiens de la Renaissance - Descartes - Historiographie cartésienne - Anti-cartésianisme: Vico, Locke, Berkeley, Hume - Lumières - La science de la nature humaine
Levain des idées chrétiennes
Deuxième crise de l'historiographie européenne (après celle du 5è siècle avant JC) : celle des 4è et 5è siècles après JC) où l'on assiste à un abandon (1) de la conception optimiste de la nature humaine et (2) du substantialisme avec ses entités éternelles non affectées par le changement historique. L'homme est affecté par le péché originel et guidé non pas par la raison mais par ses désirs et ses passions. Les grands desseins, la sagesse lui viennent de Dieu et de l'action de la grâce.
Dans le même temps, la conception substantielle se dissout peu à peu: les agents et les nations sont des créations de Dieu que Dieu est capable de modifier et de réorienter à sa guise. Même l'âme (soul) est soumise en permanence à l'influence divine. Dieu est bien la substance définitive mais elle reste inconnaissable et avec Saint Thomas d'Aquin on verra peu à peu s'effacer le Dieu substantiel au profit d'un Dieu se confondant entièrement à ses actions, puis avec Berkeley à un pur esprit. Dans ce contexte:
(1) Dieu est l'origine et le moteur du processus historique et l'homme est un agent de ses volontés.
(2) Corollairement, les entités réputées substantielles de la phase antérieure (par exemple "Rome") perdent leur définition substantialiste pour n'être que des phases transitoires d'un dessein qui les dépasse. Le temps historique n'est plus un flux de surface qui laisse intactes les substances mais il entraîne ces substances dans son mouvement, la création divine étant permanente
(3) L'histoire prend une dimension universelle: elle englobe l'ensemble de l'humanité, loin du particularisme implicite dans l'historiographie gréco-romaine.
Caractéristiques de l'historiographie chrétienne
Elle est universelle, providentielle, apocalyptique et périodisée:
(1) universelle: il s'agit d'une "révolution copernicienne" car le centre de gravité n'est plus la Grèce ou Rome.(2) providentielle puisque tout part de Dieu.(3) apocalyptique s'agissant du dévoilement d'un plan intelligible avec un point central: la Révélation par Jésus Christ ce qu'il l'a préparée.(4) périodisée car il en résulte une division en 2 périodes (avant et après JC) elles-mêmes subdivisées en époques inférieures, chacune spécifique et marquée par un élément majeur qui la définit.
Un exemple parfait: le travail d'historien de Eusèbe de Césarée (3è - 4è siècle). C'est une révolution de l'esprit, illustrée ensuite par des gens comme Jérôme, Ambroise et Augustin. Réaction très violente contre la culture gréco-latine. Le point de vue de chronologie universelle atteint son summum avec Isidore de Séville au 7è siècle et Bède le vénérable au 8è. La conception apocalyptique de l'histoire s'est maintenue ensuite même si elle a déplacé le moment et la nature de l'événement de révélation. Ce fut selon le cas: la Renaissance, l'invention de l'imprimerie, le mouvement scientifique du 17è, les Lumières du 18è, le mouvement libéral du 19è, le marxisme etc.
Historiographie médiévale
Comme dans l'Antiquité, cette histoire est limitée par la fragilité des sources et des témoignages mais l'histoire est abordée au plan universel comme la geste de Dieu (Gesta dei) et comme un procès (process) derrière un dessein divin dans lequel l'homme s'inscrit pleinement, non comme victime passive mais comme agent servant ces plans ou s'y opposant (et, dans ce dernier cas, comme marqué par le démon).
Elle contient souvent une vision du futur comme devant nécessairement advenir, c'est-à-dire une eschatologie. Cette incorporation (parasite) du futur dans l'histoire est en relation avec la conception d'un Dieu omnipotent par rapport aux actions humaines, donc avec celle d'un déterminisme rigoureux, à la fois inconnaissable et assuré. Il ne s'agit pas d'un nouvel avatar du substantialisme antique mais de la croyance en la transcendance, Dieu n'étant pas une forme éternelle mais une action permanente, pas uniquement originaire et s'exerçant de l'extérieur. On est passé de l'humanisme au théocentrisme.
Une conséquence majeure fut de négliger l'étude des témoignages et des sources humaines, considérées comme secondaires par rapport à l'élucidation du plan divin et, partant, de ne pas aborder l'histoire sous l'angle critique. Cette conception de l'histoire est contraire à l'érudition critique qui sera propre aux historiens du 19è, lesquels rejetèrent en bloc l'historiographie médiévale. Elle nous reste néanmoins "sympathique" car nous avons en commun avec elle la croyance que les grands changements historiques suivent une loi dialectique et répondent à une nécessité qui échappe à l'homme.
Historiens de la Renaissance
On y assiste à un retour à l'homme mais cette fois avec le souci d'érudition, donc de critique des sources, et avec cette différence majeure de conception que l'homme n'est pas une substance mais un être de passion. On remet en cause les solutions de périodisation antérieures (exemple des quatre empires).
Bacon distingue trois royaumes dans la connaissance: la poésie fruit de l'imagination; l'histoire qui relève de la seule mémoire, donc du passé pour lui-même, sans considération de l'avenir ni de son prolongement au présent; et la philosophie produit de l'intelligence. Pour Descartes l'histoire ne peut être source de connaissance, ceci pour quatre motifs:
(1) escapisme: l'histoire est faite pour s'évader de la réalité présente. Toute connaissance était alors rapportée à l'homme connaissant au présent (en dehors de toute notion utilitariste): on ne concevait pas que faire de l'histoire c'était rapporter le passé au présent.(2) pyrrhonisme: doute quant à la fiabilité de l'histoire comme vérité certaine, transposable, généralisable.(3) anti-utilitarisme: comment se baser sur une connaissance aussi fragile pour se conduire au présent ?(4) imagination, magnification: l'histoire est le produit de facultés antithétiques au savoir scientifique. On ne concevait pas alors aisément l'histoire critique, basée sur une approche prudente mais authentiquement scientifique de la vérité, développée au début du siècle suivant par Vico.
Historiographie cartésienne
Elle est basée sur un scepticisme de principe mais aussi sur la reconnaissance des principes de la critique. Elle prolonge Descartes en le dépassant: (1) pas d'argument d'autorité (remise en cause systématique de l'autorité des sources); (2) confrontation des autorités; (3) ne pas se contenter des sources écrites mais aussi tenir compte des monnaies, médailles, inscriptions chartes etc. Un bon exemple: Tillemont sur les empereurs romains [Histoire des empereurs et des autres princes qui ont régné durant les six premiers siècles de l'Église (6 vol.), 1690-97, 1701, 1738)].
Leibniz commence à appliquer les mêmes principes à l'histoire de la philosophie avec cette réserve qu'il a eu tendance à rechercher ce qui reste fixe, qui n'évolue pas, ce qu'il appelle la Philosophia perennis. Idem pour Spinoza avec la critique biblique. Mais la tendance générale du cartésianisme reste néanmoins anti-historique.
Anti-cartésianisme: Vico, Locke, Berkeley, Hume
Vico (1668-1744) est originaire de Naples. Il soutient contre Descartes que d'autres vérités scientifiques sont possibles que les mathématiques, notamment en histoire. Pour lui le sentiment d'évidence, qui est le critère cartésien par excellence, n'est pas fiable; il faut lui substituer deux principes: celui de la juste appréciation des limites de notre connaissance et celui d'une approche empiriste. Il rejoint donc Hume pour la remise en cause de l'évidence cartésienne et Locke pour l'approche fondée sur l'expérience.
Vico pense que peut être connu ce qui résulte de l'action humaine et l'histoire est scientifique, tout particulièrement quand elle se préoccupe des sociétés, des langues, du droit, des coutumes etc. On peut selon lui reconstituer le procès par lequel toutes ces structures ont été élaborées mais sans considérer ce procès comme la reconstitution d'un plan préétabli ni la prédiction d'un futur.
Contrairement à Descartes, Vico ne se pose pas d'emblée la question de l'être des choses dont l'historien se saisit, une question d'ordre métaphysique qui mène inévitablement au doute. Non ces entités historiques existent vraiment, telles que la langue italienne par exemple. Elles existent vraiment pour la bonne raison que le présent vécu nous met en relation étroite avec ce qu'elles étaient dans le passé. En matière historique, idées et faits se confondent et il n'est pas légitime de les distinguer au plan de l'entendement et de la perception.
Il pense que l'histoire pouvaient s'attaquer à des périodes reculées en s'aidant d'un certain nombre de principes dont: (1) l'analogie entre périodes séparées, tel entre les temps homériques et le haut moyen-âge, périodes dites héroïques; (2) la récurrence de ces périodes dans un ordre identique comme formant un cycle; (3) le cycle se répète mais en spirale ce qui veut dire qu'aucune situation ne se reproduira à l'identique, donc qu'il n'y a pas de prédiction possible.
Il met met en garde contre cinq erreurs: (1) l'exagération sur la grandeur des nations ou des sociétés; (2) les réflexes nationalistes conduisant à masquer les points négatifs sur un pays; (3) la croyance que les hommes qui font l'histoire des sociétés sont des hommes d'intellect donc que l'évolution des sociétés correspondrait à celle des connaissances humaines; (4) un type de société serait le produit unique d'une généalogie sociale. Pour Vico, deux généalogies sociales indépendantes peuvent engendrer des civilisations analogues; (5) les âges antérieurs étaient mieux à même de connaitre les périodes qui leur étaient plus proches. Pour Vico il n'en est rien: l'histoire peut être reconstruite plus objectivement sur la base des autorités "intermédiaires".
Vico était en avance sur son temps et il fallut attendre deux générations, soit la fin du 18è, pour que sa défense d'une histoire critique libérée des autorités prennent pied, en Allemagne notamment. Il faut souligner encore que son approche empirique de la connaissance rejoint la doctrine de Locke (1632-1704) et que sa critique des idées innées de Descartes est en convergence avec celle de Hume (1711-1776). Ces deux conceptions sont d'ailleurs reflétées dans l'esprit des Lumières, la vision historique des Encyclopédistes et l'intérêt particulier de Voltaire pour l'histoire.
L'empirisme lockien suppose que la connaissance est un produit collectif du temps donc qu'elle a une composante naturelle historique. Tout sceptique radical qu'il soit, Hume, de son côté, réhabilite la pensée historique et la met sur le même pied que les autres sciences: comme toutes les autres, la connaissance historique est relative mais elle est légitime en tant que savoir, dans la mesure où elle ne dépend pas de présupposés métaphysiques. Toutefois Hume fut empêché de saisir toute l'importance de sa philosophie pour l'histoire en tant que discipline scientifique à cause du préjugé de son temps sur la nature humaine en tant que substance douée de permanence. Il subissait malgré lui l'influence d'un puissant préjugé d'ordre métaphysique.
Lumières
Contrairement à Vico, Voltaire et Hume, du fait de leur insistance émotionnelle à critiquer la religion, ne la replaçait pas dans son contexte historique. Ils voulaient plutôt la rayer de l'histoire. C'était faire œuvre de polémiste et non pas d'historien. Dans leurs ouvrages d'histoire ils se sont limités à la période "moderne" (à partir du 15e siècle), considérant qu'on ne pouvait pas connaître avec assez de certitude les périodes reculées et qu'il convenait donc de les ignorer.
Montesquieu et Gibbon abordent quant à eux les périodes de fondation et, chacun à sa manière, traitent de l'histoire de l'Empire romain. Montesquieu dans Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) considère les sociétés humaines comme des plantes soumises au climat et à la géographie : une vision partielle mais importante pour la suite de la méthode historique. Gibbon dans Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain (en 7 volumes, fin du 18è) retrace l'évolution débutant par l'irrationnel et la barbarie et aboutissant à cet âge d'or que fut la période des empereurs Antonins.
La conception de l'histoire durant les Lumières peut être rattachée à une nouvelle forme apocalyptique (apocalypse = dévoilement) où tout ce qui a précédé l'âge classique est considéré comme inférieur car non guidé par la raison. C'est, en particulier, le rejet délibéré des temps médiévaux avant la Renaissance. Malgré tout, l'historiographie moderne se dessine derrière le dogmatisme en redonnant sa place au sujet et en mettant en avant l'histoire des sciences et des arts, de l'industrie, du commerce et de la culture humaine en général (Encyclopédie).
La science de la nature humaine
Bien qu'ayant rejeté bon nombre de principes substantialistes, notamment l'esprit comme opposé à la matière, les philosophies des Lumières où disons postcartésiennes, en conservent un très significatif: l'existence d'une nature humaine, fixe et éternelle, ayant traversé le temps et l'espace en dépit des vicissitudes de l'histoire. Même Hume, le sceptique radical, tout en niant l'existence de l'esprit (spirit) comme substance, se rabattait sur l'idée d'esprit comme procès non susceptible d'apprentissage et d'évolution, même si ses "produits" tels que les sciences et les arts sont eux toujours en progrès. La connaissance de l'esprit était réglée sur celle de la nature. Or, mieux connaître les objets de la nature ne les transforme pas: leur nature reste permanente, inchangée. Ainsi en allait-il de l'esprit comme objet de connaissance.
Cette conception explique l'optimisme du siècle concernant le gouvernement des affaires humaines. La question qui se pose à eux est de lever le voile sur le fonctionnement de l'éternelle nature humaine: une fois cette question éclaircie le monde fonctionnera mieux. Ils ne soupçonnent pas que cette connaissance elle-même engendrera de nouveaux problèmes politiques et sociaux.
Prochain chapitre: Le seuil de l'histoire scientifique
R.G Collingwood - The Idea of History - résumé détaillé par Gilles-Christophe - mars 2022