AVRIL 2018


Gilles-Christophe, Avril 2018

Défaillance 

La transition n'aura pas duré trop longtemps mais c'est bien d’une transition qu'il s'agit, c'est-à-dire du passage d'un état (intérieur) à un autre état (intérieur). Durant les trois ou quatre dernières années, j'ai cherché à constituer un viatique philosophique à usage personnel, en harmonie avec celui que je crois être devenu. Il m'a fallu un certain temps pour reconnaître qu’un certain équilibre était atteint dans le conflit des pensées et qu'il était inutile voire contre-productif de raffiner et de compliquer mon interprétation du monde. Aujourd’hui je pense que ce que j'ai formulé dans les derniers billets est satisfaisant. En voici le résumé :

1.          Je  suis « réaliste » à la sauce médiévale c’est-à-dire que je crois à la réalité des idées et des concepts dits premiers, ceux dont je fais l’hypothèse qu’ils nous sont octroyés par Dieu. Ce sont ces axiomes et ces catégories conceptuelles qui me relient à lui de même que ce sont eux qui fondent la création du monde. Je ne suis plus une monade à la dérive sur terre et au ciel. J'appartiens au cosmos, à la création. 
 
2.          Je crois à l'esprit de manière concrète, comme principe présidant à la matière et le précédant. L'esprit est pour moi le bras de Dieu, toujours agissant, moteur du temps et créateur de la matière. Toujours présent au côté de ses créations et de ses créatures. L'esprit est, dans l'histoire du temps, ce principe originel qui rend compte de la matière, ceci en plein accord avec les théories scientifiques contemporaines sur l'origine du monde.

3.          Je vis sous le double ciel de l'immanence et de la transcendance. Je les vis dans la simultanéité et non dans l'alternance. Je les vis comme indissociables et se nourrissant l'une de l’autre. Je me figure en particulier une sorte d’empyrée, donc une émanation transcendante, formée de toutes les formes et de toutes les idées, qui règne au-dessus de la vie mais qui, loin d’être inaccessible, constitue mon bain et mon pain quotidiens. Une immanence transcendante en somme. Une transcendance qu'il m'a été donnée de vivre sur un mode familier. Dieu, par définition, m'est inaccessible ; le nommer c'est déjà le réduire ; le ritualiser, en faire une religion, ce serait le détruire et le nier. Mais reconnaître qu'il nous a légué cet empyrée des idées et des formes, ce monde intermédiaire qui n'est déjà plus de ce monde, c'est accepter l'hommage de Dieu, quel qu'il soit.

Il me faudrait maintenant aller de l’avant sur cette base. 
Aller de l’avant, soit, mais vers quoi ? Se diriger vers l’extérieur ? vers autrui ? S’engager socialement au lieu de persister à se retirer à l’intérieur de soi ? Et si engagement il y avait, serait-t-il le prolongement naturel du repli intérieur qui l’a précédé ? Je ne sais pas encore. Le journal intime resterait nécessaire pour accompagner, rendre compte, comprendre, consolider cette prochaine phase, encore hypothétique. Il serait certes beaucoup plus étroitement lié aux évènements, petits et grands, de la vie et en matière de philosophie l’éthique deviendrait prioritaire par rapport à la métaphysique. Egalement, la littérature romanesque, plus proche de la vie concrète, pourrait prendre le pas comme thème de lecture sur les idées abstraites de la philosophie et de la critique.

Pourtant, si cette nouvelle posture s’avérait stable et profondément installée en moi, serait-t-il alors pertinent de m’appesantir sur mes états intérieurs ? Ne serait-ce pas contradictoire avec un engagement tourné vers l’extérieur ? Ma vie intérieure demeure un complexe indéchiffrable que je n'ai pas les moyens, mais surtout plus l'envie aujourd’hui, de démêler. Au lieu de tirer un fil, de sortir de là pour entrer ici, je flotte au milieu de moi, sans désir de progrès ni d’évasion. Je crois être devenu moins soucieux de progrès intérieur, plus interpellé par ma position dans les sphères extérieures, celle des hommes comme celle du monde physique et naturel. J’ai l’impression, illusoire peut-être, d’être capable d’opérer une séparation entre tous ces cadres mentaux. De pouvoir me libérer du soi pour accéder tout à la fois à l’action (en interaction avec autrui et avec la société) et au cosmos. D’être en somme celui qui agit tout autant que celui qui contemple, tourné vers les autres mais aussi rêveur de mondes. 

Mais ne serais-je pas en train de me tromper moi-même en dissociant la vie intérieure de tout le reste, à savoir, pour simplifier, de l’action et de la contemplation ? La vie intérieure, c’est la vigie, c’est l’instance supérieure grâce à laquelle tout ce qui est digne de valeur en nous se développe et avance. Si je ressens aujourd’hui une certaine lassitude de ce moi toujours en quête et jamais satisfait, si je veux le remiser dans un réduit intouchable de mon esprit afin de ne plus avoir à y revenir, ne serait-ce pas que je suis impuissant à lui donner une expression satisfaisante dans ce blog ? Peut-être considéré-je comme atteint ce seuil d'expression audelà duquel règne pour moi l’indicible ? 

Pause jardinière

Cette pause post-hivernale, faite de jardinage intense entrecoupé par la lecture sans conséquence de Jouhandeau et de Cioran, doit maintenant céder la place à une nouvelle phase d’étude philosophique calquée sur la matrice en trois points exposée plus haut. Deux maîtres essentiels évidemment : Platon et Aristote. Mais aussi la synthèse médiévale qui en est faite par Alain de Libera dans ses cours du Collège de France, et, toujours et encore, Bergson. Je crois que la lecture de Bergson, notamment de L’évolution créatrice me permettra d’approfondir ma réflexion sur la dualité (ou l'association) matière-esprit, d’une part et sur le vivant, d’autre part. J'ai d'ailleurs omis ce dernier point dans ma profession de foi spiritualiste. 

Pas de deuxième vie, mais la vie

Le temps s’épaissit, se nourrit de moi. Je suis actuellement une formation destinée aux bénévoles engagés dans l’apprentissage du français pour les étrangers et des savoirs de base pour les illettrés. Et ce mince événement ébranle en moi des ressorts endormis, en lien avec l'engagement vis-à-vis des autres, des démunis, des exclus, des migrants.  Comme souvent dans mon fonctionnement propre, je vais bien au-delà de la situation vécue au présent et je me projette beaucoup trop dans l’avenir. Ne faudrait-il pas s’en tenir à un simple engagement qui doit me permettre de rester ouvert sur l’extérieur, d’éviter de me replier sur la maison et le for intérieur. Je le vois presque comme un correctif à ma tendance à l'introspection et à l’étude solitaire. On est loin ici d’un idéal altruiste et presque missionnaire au service des autres, du droit à la deuxième vie dont je parlais hier à T. et qui s’annonçait au début de ce billet. Mon objectif est plus modeste, plus réaliste. J'ai autant besoin de connaître d'autres gens et d'autres situations, que de garder mes habitudes de lecture, de méditation et d’écriture. Trop de temps à l’extérieur m’empêcherait d’être à moi-même.

Autre considération. Le rapport entre la vie et ce que je peux en écrire. L'introspection trop exclusive, le repli sur moi finirait par stériliser l’écriture personnelle à laquelle j'attache tant d'importance. Vivre pour écrire est l'exact pendant d'écrire pour vivre. Vivre et écrire sont indissociables. Il ne faut donc pas oublier de vivre si l’on veut écrire.

Jardin imaginaire, jardin à partager

Je songe à faire vivre ce jardin en en faisant le réceptacle de mon monde intérieur, si dispersé et éclectique soit-il. Je choisis de quoi je le peuplerai, ce que j’en laisserai percevoir aux curieux. Il s’agit au fond de faire le lien entre le réel et l'imaginaire. L’imaginaire, c’est-à-dire ce qui, dans mon monde intérieur, s’apparente à la mythologie et aux esprits élémentaires. Je cherche depuis quelques années, et de manière désordonnée, les références littéraires, mythologiques, philosophiques qui traduisent l'attachement de l'homme à la nature, aux plantes, aux animaux, aux éléments, au temps et à l'espace. Je cherche les signes de rattachement du microcosme au macrocosme. Je m'y perds, c'est inépuisable.

Aujourd’hui, résigné mais fort de mon ignorance, je peux personnaliser ce jardin, lui infuser la substance imaginaire dont je suis fait.

J'en prends conscience, de manière comme toujours très incidente, en lisant les commentaires de Marie-Claire Bancquart, sur la Rôtisserie de la Reine Pédauque d'Anatole France. Mon attention est attirée par les esprits élémentaires que le fol d'Astarac voit partout autour de nous : sylphes de l'air, ondines de l'eau, salamandres du feu, gnomes de la terre. À ceux-ci il faudrait ajouter toutes les divinités ou semi-divinités des anciennes mythologies qui se cachant dans les arbres, les forêts, les jardins, celles des Métamorphoses et de l’Âne d'or.

C'est l'esprit de la Renaissance trainant les pieds avant de s'affranchir de la culture gréco-latine, des correspondances universelles, de l'analogie macro/microcosme. Ce sont les délires de l'illuminisme, de l’ésotérisme et de l’hermétisme, telles qu’ils revivent dans les fins de siècle ultérieurs. Notamment dans le symbolisme de la fin du XIXe qui fait revivre les anciennes croyances sous une forme essentiellement esthétique, symbolisme auquel Anatole France se rattache fortement.

Ce que j'aimerais faire, au fond, c'est puiser dans ces ouvrages ce qui peut nourrir mon sentiment d'appartenance au microcosme du jardin, et renforcer le lien qu’a ce jardin avec le cosmos lui-même ; y glaner les mots et les expressions qui me permettront d'en rendre compte et de partager avec les autres, ave ceux qui m’accompagneront dans mes futures conférences-promenades au jardin.

Adieu pour de bon

Formation des formateurs bénévoles (suie). L'impression de ne pas être à ma place. Je ne me nourris pas des mêmes nourritures, et celles qu'on me présente, je ne les assimile pas de la même manière. Le cours m’intéresse à titre très personnel mais, loin de susciter en moi une vocation de formateur, il me délivre au contraire de cette lubie. Toutes les opportunités sociales que je croise désormais sont autant d’occasions de faire un adieu à la société. Il faudrait mettre un terme à cette phase de pure curiosité et me tourner pour de bon vers ce qui est destiné à m'accompagner pour toujours : la métaphysique des éléments naturels, Bachelard investi par les nymphes, Bergson par la poésie des jours, Platon et
Aristote transposés au XXIe siècle, la théologie chrétienne comme miroir de l’âme humaine, ce que dit Victor Cousin de ceux-ci et de ceux-là. Aussi Sainte-Beuve et sa grande galerie des portraits, sa typologie enfin réalisée. Un Renan définitivement sage. Il suffit de s'y mettre ! De filer les œuvres, une à une, patiemment, jusqu’à la fin, et, pour chacune d'entre elles, de déposer mes propres mots et mes propres repères, comme je l'ai fait ces dernières années. Au lieu des fastidieux résumés de mes précédents blogs, je me contenterai d'un journal d’étude dans lequel je déposerai des idées ou des mots comme autant de repères et de jalons et où je jouerai littéralement avec le savoir philosophique et avec la métaphysique pour la faire pénétrer soit dans l'imaginaire, soit dans la poésie de la vie quotidienne.

Inversion du désir

Le désir, qui est aliénation, aspire à un objet qui n’a pas encore de substitut dans notre imaginaire. Passé un certain âge, la vie est une force vive qui construit sans relâche des substituts mentaux, virtuels et imaginaires, des désirs, qui remplace la possession par le rêve. La vieillesse, ce n'est pas tant l’assèchement du désir que la recréation du monde dans l’enceinte en expansion de l’âme. Certes, c'est plus facile au milieu d'un beau jardin et dans une belle maison que dans une prison. Mais le prisonnier est doté de ce même pouvoir de création imaginaire. Et l’âme du vieillard devient si riche qu'elle finit par se répandre dans le monde. Le mouvement du désir est alors retourné : le monde vient à lui et non lui au monde. Partant, le monde n'est plus à posséder mais à accueillir.

Gilles-Christophe, Avril 2018