Selon Pascal, la perception habituelle du temps n'est pas spontanément en rapport avec la notion d'être. Nous y croyons tout simplement parce que nous y sommes habitués. Il s'impose à nous en bloc comme tous les premiers principes. Le mot qui le désigne suffit à définir son rapport à nous. D'autre part, lorsque nous y réfléchissons, nous l'assimilons avant tout à un autre principe premier qui est celui du nombre. En particulier, l'idée de l'infini du temps n'est que l'application de notre conception d'un nombre qui s'ajoute sans limite à lui-même. Cependant, deux autres formes d'expérience nous entraînent à penser différemment le temps.



Et l'on pressent déjà comment l'homme pourra s'en sortir selon Pascal. Descartes et son recours à Dieu n'est pas si loin mais c'est selon des modalités totalement différentes que Pascal a recours au Ciel, au temps divin. Pascal introduit ici la notion de «digression», qui fait le pendant à celle de «divertissement». Il s'agit non moins que de passer de l'ordre de nature à celui, surnaturel, de charité. Il faut pour cela être animé par la grâce, sorte de création continuée permanente nécessitant d'être constamment renouvelée par Dieu présent au cœur. Considérée du point de vue de la Providence divine, la grâce serait l'antithèse de la mémoire: elle est le présent dans toute sa pureté. Pascal, réalisant sans doute à quel point cette «digression» n'est pas à la portée de tout chrétien, recommande de l'incorporer peu à peu dans les habitudes de dévotion, comme pour en domestiquer l'idée. Mais on sent avec quelle difficulté pour l'homme moyen !
![]() |
Port Royal _Petites Écoles |
Chez Pascal, y aurait-il donc un renversement dans l'ordre de la nature visant purement et simplement à nous affranchir du temps humain pour nous permettre de gagner l'éternité ? Non, ce n'est pas l'objectif recherché, dans un premier temps au moins. Il s'agit bien au contraire de s'établir pleinement dans le temps proprement humain, et, qui plus est, dans ses trois dimensions: présent, passé et futur. Et aussi dans son épaisseur affective faite essentiellement d'inquiétude et d'espoir. Car il s'agit à chaque moment de son existence de capter la grâce présente, de retenir la grâce qui s'échappe, d'espérer la grâce à venir. Comme dans la condition humaine la plus banale, il n'y a pas de repos définitivement acquis, aucune rente de sagesse ou de dévotion. La vie est ainsi le lieu d'une permanente "intranquillité", laquelle constitue l'unité-même et la continuité de l'être. Le temps janséniste est ainsi profondément tragique, temps d'une présence divine toujours recherchée, temps complexe ordonné vers une fin où se combinent mouvements rétrospectifs et mouvements prospectifs du cœur.