ÉCRIRE SA VIE


Il me semble qu'il devient intéressant d’écrire sa vie, passé et présent confondus, quand ça n'est plus un combat contre l’oubli ni un devoir moral mais un besoin spirituel. Je sens qu'envisagée au seul plan de la mémoire, l'autobiographie ne donne qu'une pâle transcription de la substance dont la vie est faite et, surtout, qu'elle ne fait pas avancer d'un pouce l'esprit de celui qui écrit. Maintenant j'envisage l'écriture du soi plutôt comme un appel instinctif, non pas pour collecter des souvenirs, mais pour dépasser la rigidité du temps en réduisant autant que possible l'espace temporel séparant les états successifs de mon être (ou mes êtres successifs), en recherchant la nature du liant qui enveloppe et rassemble si étroitement ces états. Un exercice spirituel visant à jouir un peu plus et un peu mieux de l'état de vivant. 

JOURNAL DU LECTEUR - VERSION RÉVISÉE (juillet 2023)

De mars à juin 2023 j'ai procédé à une révision approfondie du journal du lecteur écrit de 2013 à 2018 (48 billets). 

Ce journal contient des réflexions personnelles suscitées, de près et souvent de très loin, par la lecture d'ouvrages d'idées (philo, critique, histoire). Il se présente le plus souvent sous forme de fragments. C'est un forme libre et distanciée de parler des lectures sans passer par la rédaction de résumés commentés.

Une analyse rétrospective a été tentée en 2020 afin, notamment, d'identifier des thèmes récurrents. Il est proposé dans cette page en lien, ceci pour mémoire car il est désormais dépassé. 

Voici les liens sur les regroupements de billets mensuels pour chaque année concernée:

JOURNAL 2014 (12 billets) [révision terminée - mars 2023]

JOURNAL 2015 (10 billets) [révision terminée - mars 2023]

JOURNAL 2016 (10 billets) [révision terminée - mai 2023]

JOURNAL 2017 (10 billets) [révision terminée - juin 2023]

JOURNAL 2018 (5 billets) [ révision terminée juin 2023]

EPILOGUE EN GUISE DE CONCLUSION [janvier 2023]

Correspondance:
gilleschristophepaterne@gmail.com

R.G. Collingwood - The Idea of History (1946)


Voici ma proposition de résumé détaillé (et commenté) de cet ouvrage posthume de 280 pages du philosophe anglais R.G. Collingwood (1889-1943) sur la philosophie de l'histoire, publié en 1946 par Clarendon Press et réédité en version électronique en 2018 by Lume Books. L'auteur y développe ses thèses sur les spécificités de l'histoire comme source de connaissance et comme méthode d'investigation. 

Le principe de mes résumés (voir aussi ceux des ouvrages de Bergson et de Bachelard) est d'essayer de ne perdre aucune des idées principales et de respecter leur articulation et leur développement. J'y insère mes propres commentaires (ici en rouge).

En raison de la densité du propos, j'ai consacré une page séparée du blog à chacun des cinq chapitres. Le sommaire suivant permet d'accéder à chacune de ces pages.

SOMMAIRE

Cliquer sur le titre du chapitre pour accéder à son résumé commenté 

L'ouvrage contient deux parties principales. Les deux premiers tiers sont consacrés à l'histoire de l'histoire, sorte de revue critique en quatre chapitres des grandes conceptions de l'histoire traitée de manière chronologique. Le troisième tiers, intitulé Epilegomena, se distingue assez nettement des autres puisque c'est l'exposé des propres conceptions de Collingwood en matière de philosophie de l'histoire.

On y retrouve notamment, amplement développés, deux thèmes abordés dans son Autobiographie (1939): les complexes de questions/réponses et la ré-effectuation (re-enactement) du passé dans le présent.

Outre qu'il satisfait à une double curiosité intellectuelle (philo et histoire), l'ouvrage de Collingwood a un intérêt plus personnel encore: la méthode historique proposée s'applique à l'histoire du soi (self) en tant que pensée réflexive (reflexive thought) se prolongeant dans la pensée présente. Elle définit donc, à côté de l'histoire stricto sensu, une méthode s'appliquant à l'autobiographie que j'aimerais mettre en œuvre ici dans les années à venir. Elle consiste non pas à rabouter artificiellement des lambeaux épars de la mémoire mais à laisser la pensée rechercher spontanément son chemin d'hier à aujourd'hui, c'est-à-dire, pour l'historien de soi, à attirer la pensée passée dans la sphère du présent. Elle pose en effet l'hypothèse de la continuité, sinon de l'être, du moins de la pensée réflexive individuelle, et fait le pari de son intelligibilité et de sa transmissibilité pour qui la lit ou l'écoute. 

A. LOVEJOY - The great chain of being (1933) - Résumé et commentaires

​​PLAN DU RÉSUMÉ

I. INTRODUCTION. ETUDE DE L'HISTOIRE DES IDÉES. page 1

​II. LA GENÈSE DE L'IDÉE DANS LA PHILOSOPHIE GRECQUE : LES TROIS PRINCIPES. p.3

​III. LA CHAINE DE L'ÊTRE ET QUELQUES CONFLITS INTERNES DANS LA PENSÉE MÉDIÉVALE. p.10

​IV. LE PRINCIPE DE PLÉNITUDE ET LA NOUVELLE COSMOGRAPHIE. p.14

​V. PLÉNITUDE ET RAISON SUFFISANTE CHEZ LEIBNIZ ET SPINOZA p. 16

​VI. LA CHAÎNE DE L'ÊTRE DANS LA PENSÉE DU XVIIIe, PLACE ET RÔLE DE L'HOMME DANS LA NATURE. p.18

​VII. LE PRINCIPE DE PLÉNITUDE ET L'OPTIMISME DU XVIIIe SIÈCLE. p.20

​VIII. LA CHAÎNE DE L'ÊTRE ET CERTAINS ASPECTS DE LA BIOLOGIE DU XVIIIe SIÈCLE. p.22 

​IX. TEMPORALITÉ DE LA CHAÎNE DE L'ÊTRE. p.23

​X. LE ROMANTISME ET LE PRINCIPE DE PLÉNITUDE. p.27​

Alain DE LIBERA. Penser au Moyen Âge. 1991. Résumé.


PLAN DU RÉSUMÉ

​​INTRODUCTION page

​PHILOSOPHIE ET HISTOIRE p4 

​POURQUOI DES MÉDIÉVISTES p5 

​L’HÉRITAGE OUBLIÉ p.6 

​PHILOSOPHES ET INTELLECTUELS p.10 

​SEXE ET LOISIR p.12 

​LE PHILOSOPHE ET LES ASTRES p.17 

​L’EXPÉRIENCE DE LA PENSÉE p.19 

​CONCLUSION p.22​ 

LECTURES PHILOSOPHIQUES : UN CHOIX IDEAL

Je détaille ici les ouvrages philosophiques et les essais critiques relevant des quatre thèmes prioritaires qui forment selon moi un tout organique et que j'ai identifiés au cours de la première saison de lecture (voir Page du bandeau horizontal: "Bilan-Projet"). La classification a une part d'arbitraire, certains ouvrages relevant à l'évidence de deux voire de plusieurs catégories, d'autres semblant plutôt hors catégories.

C'est un corpus mûrement réfléchi, un programme idéal, tel que je suis capable de le formuler aujourd'hui (Mai 2021). Plus d'une trentaine d'ouvrages, base d'une étude pour plusieurs années. La plupart des auteurs retenus sont du XXe ou du XXIe siècles. Je les ai identifiés au hasard de mes pérégrinations de la précédente saison de lecture. Ils me semblent autant de guides vers les auteurs des époques antérieures.

Dans cette nouvelle saison, je m'attacherai, plus encore que dans la première saison, à résumer les ouvrages de manière détaillée. Les réflexions personnelles sur chacun de ces ouvrages séparément ne viendront que dans un deuxième temps dans le journal du lecteur.

 Philosophies de la nature et cosmologies familières .

H. BERGSON. L’évolution créatrice. 1941. Cet ouvrage complète tous ceux de H. Bergson étudiés pendant la saison précédente (voir résumés).
P. HADOT. Le voile d’Isis. 2004.
R.G COLLINGWOOD. Essay on metaphysics. 1939. The idea of nature. 1945.
M. FOUCAULT. Les mots et les choses. 1966.
F. JACOB. La logique du vivant. 1970.
A. FAGOT-LARGEAULT. Ontologie du devenir (Collège de France: 2006, 2007 & 2008).
J. MICHELET. La mer - l'oiseau - l'insecte - la montagne.
W. JAMES. The will to believe. 1897.

Conscience phénoménologique et répertoire personnel des percepts.

G. BACHELARD. La terre et les rêveries de la volonté. 1948.
G. BACHELARD. La terre et les rêveries du repos. 1948.
A. LOVEJOY. The great chain of being. 1936.
W. JAMES. A pluralistic universe. 1909.
A. De LIBERA. La querelle des universaux. 1996. L'archéologie philosophique. Cours du Collège de France, 2013-14.
M. MERLEAU-PONTY. Phénoménologie de la perception. 1951.
J.P. SARTRE. L'imaginaire. 1940.
G. POULET. Etudes sur le temps humain. 4 tomes. 1951-1968. Trois essais de mythologie romantique. 1985.
J.P RICHARD. Poésie et profondeur. 1955 - Etudes sur le romantisme. 1970 - Proust et le monde sensible. 1974.

La personne face à l'autre et au différent.

A. De LIBERA. L'invention du sujet moderne. Cours du Collège de France, 2013-14.
P. RICŒUR. Soi-même comme un autre. 1990.
P. STRAWSON. Individuals. 1959.
F. JULLIEN. La pensée chinoise. 2015.
E. MOUNIER. Le personnalisme. 1949.
S. WEILL. La pesanteur et la grâce. 1949.
E. de FONTENAY. Le silence des bêtes. 1998.

Modèles d'existence philosophique.

A. De LIBERA. Penser au Moyen Âge. 1991.
P. HADOT. Qu’est-ce que la philosophie antique ? 1995.
A.A. LONG & D.N. SEDLEY. Les philosophies hellénistiques. 3 tomes. 1987.
W. JAMES. Pragmatism. 1907.
E. MOUNIER. Les existentialismes. 1962.
J.P SARTRE. L'existentialisme est un humanisme. 1945.

Dans cette liste établie pour un terme long, il faudra commencer par la relecture des auteurs que j'ai déjà pratiqués dans la première saison, en particulier BERGSONBACHELARDPOULETMOUNIERJAMESCOLLINGWOODHADOTde LIBERA.


Note complémentaire 

J'aurais voulu ajouter à cette liste des œuvres littéraires représentatives de chacun des quatre thèmes, notamment chez mes ecrivains de prédilection (Giono, Gracq et Jouhandeau en tête).  Je me réserve la possibilité de le faire ultérieurement.

Gilles-Christophe, le 8/05/21 addition le 14/07/21

BILAN SAISON 1 - PROJECTION VERS UNE SAISON 2

 

BILAN (2013-18)

SUITE POSSIBLE (2021)

L'option de la philosophie

L'option de la littérature


BILAN (2013-18)

Écrit durant une période de près de cinq ans (2013-2018), ce journal recueille les réflexions d’un amateur (au double sens du terme) sous l'influence de ses lectures philosophiques et littéraires. L'objectif de départ, qui revient de manière récurrente jusque dans les derniers billets, était de renouveler ma perception du monde élémentaire (temps, espace, formes, substances), de retrouver une certaine naïveté dans la sensation immédiate que j’ai de mon environnement, de la nature particulièrement. Voulant me libérer du carcan d’une vision purement objective du monde, j’ai été ainsi entraîné de fil en aiguille, et de manière spontanée, vers les grandes questions de philosophie première, autrement dit de métaphysique. Cela m'a conduit largement au-delà de l'objectif initial, notamment vers les questions relatives à l'ontologie et à l'identité personnelle. Au total, ce travail d'écriture, malgré son désordre et sa fragmentation, traduit assez fidèlement les inflexions de la vie intérieure au contact des livres pendant cette assez longue période.

Au cours de cet itinéraire sinueux, plein de rebondissements et de retours en arrière, je n'ai pas perdu le fil de mon chemin philosophique. Dans les derniers billets je m'étais attardé sur quelques notions de philosophie existentialiste qui s'imposaient à moi par ce qu'elles recélaient d'indicible à dire un jour. Des notions chargées d'un sens à découvrir. Comme si une pré-conscience m'enjoignait de les approfondir pour donner plus de sens encore à ma vie. Je crois pouvoir les expliciter, ces notions obsessionnelles. Leur jeu concerté en moi contribue à définir ce que je pourrais être et surtout ce que je ne peux pas être. Voici :

D'abord la conversion, attente ouverte et permanente, état de réceptivité aux signes, d'où qu'ils viennent, qui invitent aux révolutions de l'esprit face au monde, non pas simplement selon un progrès cumulatif, graduel, attendu, confortable, mais avec des révélations, des éblouissements, des sauts. L'esprit appelle des changements qui le renouvellent du tout au tout. C'est la condition de sa survie. Je reste influencé par la modalité religieuse de la conversion mais je crains que celle-ci n'aboutisse paradoxalement à un renoncement à l'attente, à  une assurance sur l'avenir, à une forme de paresse spirituelle, voire à un sacrifice de l'espérance pour des intérêts purement terrestres. Je préfèrerais parler ici d'une conversion philosophique acceptant sans réserve l'idée de transcendance, d'un saut régénérateur dans un progrès sans fin qui impliquera toujours d'autres sauts à venir.

Ensuite, la conscience phénoménale, conscience du monde extérieur, physique ou humain, dans ses rapports aux sensations et à la mémoire. Pour moi, la conscience phénoménale, loin d'être ineffable (comme le décrètent généralement les philosophes) est au contraire un appel au verbe, un appel irrésistible qui finit par trouver son langage, notamment dans la poésie. Corollairement, l'accent mis sur la conscience phénoménale à ce stade de mon parcours traduit aussi le souci, très personnel, de ne pas dissocier le concept (produit de l'entendement) du percept (produit de la sensation du monde extérieur, au sens élargi). De les mettre toujours en accord dans la pensée de veille. Jusqu'ici en effet je me suis trop complu dans le maniement des formes abstraites de la pensée.

Enfin l'identité personnelle, notion assez obsédante comme le témoigne le blog. Si, comme je suis enclin à le croire, le soi n'équivaut pas à un être unique qui serait soi et rien que soi, mais qu'au contraire le soi est éclaté en autant d'êtres qu'il y a d'états de conscience face au monde, alors est-il toujours aussi important de se préoccuper de son salut, de frapper à la porte de l'instance supérieure pour quémander un statut définitif à emporter au-delà de cette vie ? Et pourtant: comment se soustraire à l'appel irrésistible de la transcendance ? Lequel de nos multiples êtres ressent-il cet appel ? Question essentielle autant que dramatique car l'unité incontestable de la personne que je représente face au monde (corps, caractère, déterminisme social) cache une foncière indétermination. Le renoncement définitif à l'identité personnelle ne permettrait-il pas de libérer toutes les puissances intérieures, tous les explorateurs intimes qui me livrent le monde de manière extensive, et qui me livrent à lui ? Ou bien alors faut-il postuler un noyau d'où tout jaillirait: le plus intérieur, le plus mystérieux, le plus déstabilisant de mes mois ou alors la concession en moi de l'être ? 

Ces deux conceptions ne sont peut-être pas antagonistes et mériteraient toutes deux d'être approfondies: d'un côté l'être multiple, libre, ubiquitaire, imprévisible, aux aguets, plein de ressources et souvent d'inconséquence, capable de se déployer dans le monde, de percevoir l'altérité et les différences et de s'y ouvrir; de l'autre l'être unique rassemblé autour du dépôt qui lui a été confié de toute éternité.

Toutes ces questions je les pose. Je me les pose et j'interroge les auteurs, nombreux et divers, qui se les sont posées, qui se les sont posées pour eux, pour nous, pour moi. 

SUITE POSSIBLE (2021)

Section sur l'évolution possible. Reflétant mes hésitations pendant plusieurs mois, elle montre dans un premier temps ma volonté de conférer au blog une teneur plus philosophique, notamment en l'articulant autour de quatre thèmes prioritaires et en systématisant les résumés détaillés des ouvrages étudiés. Puis, dans un deuxième temps, de compléter la philosophie abstraite par la poésie au sens large, c'est-à-dire cette littérature qui ose la transgression métaphysique, tout en restant fidèle aux quatre thèmes idéels qui structurent ma vie intérieure dans cette phase de mon existence (et peut-être à jamais).

1. L'OPTION  DE LA PHILOSOPHIE: LES QUATRE THEMES

Aller naïvement à la recherche des idées de la philosophie, me les approprier par l'écriture a donc constitué de 2014 à 2018 une transition utile de mon existence (entre 62 et 66 ans), et m'a permis de restaurer la sagesse que, comme beaucoup d'entre nous, j'avais laissé malmener durant la phase dite "active" de ma vie. Une sagesse inquiète, sans rapport avec cette "sérénité" vantée jusqu'à l'écœurement par les gourous patentés, mais visant quand même à une forme d'espérance. J'ai ressenti le besoin d'en laisser les traces écrites qui font l'objet de la première saison de ce blog.

Cette conscience en progrès au service de l'existence amplifiée, cette conscience vigie des deux mondes, constitue l'unité de ce blog, toutes saisons confondues. En voici les lignes de force: 

1. Expansion de la notion de réalité (nature, humanité).

2. Liaison concept-percept (pas d'idées ni de mots nus et abstraits, et, inversement, pas de sensations sans attache quelque part dans l'esprit).

3. Inutilité de la culture du soi pour soi et réhabilitation de la notion de personne, comme témoin et acteur.

5. Intelligibilité du discours pour celui ou celle qui me lit, qui m'écoute, qui veut partager: autrui est la mesure de tout, même si la nature de cet autrui reste encore à définir.

Ma lecture studieuse ne s'est pas arrêtée en 2018. J'ai cherché, sans succès jusqu'ici, à renouveler ma manière d'en rendre compte par l'écriture. Ma méthode de lecteur me semble pourtant mieux structurée qu'auparavant et j'ai l'impression de retenir plus naturellement les acquis. Ce qui m'invite à passer d'une écriture délibérément fragmentaire à une forme plus thématique fondée sur les acquis de la première saison. Conformément à l'esprit général de ma démarche, résumée plus haut, j'ai en effet identifié quatre thèmes d'intérêt qui me semblent couvrir la plupart de mes interrogations et qui devraient m'occuper pendant cette deuxième saison :

1. Les philosophies de la nature et les cosmologies familières.

2. La conscience phénoménologique et le répertoire personnel des percepts.

3. La personne, l'autre, le différent.

4. Les divers modes d'existence philosophique (synthèse des 3 thèmes précédents).

La recherche que j'entreprends au fil des lectures de cette deuxième saison pourrait s'intituler: la perception du monde extérieur comme mode d'existence philosophique. C'est la quête d'un modèle idéal que je pourrais porter jusqu'à la fin.

Le thème 3 peut, à première vue, paraître exogène par rapport aux trois premiers. Dans la première saison, ce thème dérivait de mes questionnements sur la notion du soi et de l'identité personnelle. J'avais provisoirement conclu que le soi n'a pas de réalité assez tangible et que c'est bien la personne qui s'impose, non le soi; la personne et en particulier autrui. Chaque personne individuellement (individual en anglais) est le véhicule de conceptions particulières sur le monde; chaque personne individuellement est désirante et croyante, donc portée vers un ailleurs que son propre soi. Chaque personne construit un univers à son image ou plus exactement au départ d'elle-même. J'avais été frappé, dans la première saison, par ce qu'en disent William James et Emmanuel Mounier dans leurs œuvres respectives. Il serait intéressant de voir comment ce personnalisme se relie aux trois autres thèmes.

Chacun de ces thèmes interpelle l'individu que je suis dans ses choix existentiels et dans sa mémoire. Aucun ne lui est, au sens propre, indifférent. L'écriture devrait donc pouvoir se présenter comme une navette entre les idées générales et l'application que j'en fais à ma propre existence, l'objectif étant d'élaborer une doctrine personnelle à porter jusqu'à la fin. J'ai l'impression (aujourd'hui) que ces thèmes forment un tout, qu'il ne manque rien pour que la vie soit prise, en totalité, dans les mailles de leur filet. Que son sens ultime, intégral, peut ainsi être mis à portée de conscience. C'est le thème 4 qui assure la synthèse donc la conclusion. J'étais tenté d'ailleurs de l'appeler: "Existence - mort - philosophique". C'est le dernier message à emporter.

Dans la liste d'auteurs et d'ouvrages à lire il faudra privilégier ceux - que j'ai déjà pratiqués dans la phase antérieure (Bachelard, Bergson, Hadot, de Libera, Poulet, Richard, James, Collingwood). J'approfondirai leur étude avec ma nouvelle grille de lecture et ses quatre thèmes en tête. Des excursions devront évidemment entreprises vers d'autres sources, notamment antiques (Présocratiques, Platon, Aristote, stoïciens, épicuriens, néoplatoniciens).

Ce blog resterait le témoignage d'une expérience naïve de la pensée, d'un cheminement de la vie intérieure au contact des livres. L'étude active permettrait de resserrer les objectifs, de fixer l'attention et les acquis, de traduire le résultat en idées, en mots. L'habitude de l'étude méthodique, l'ascèse qu'elle implique, est excellente en soi, même si dans certaines phases elle déçoit car elle manque de retentissement sur les conceptions personnelles et n'a pas d'effet sur les résurrections de la mémoire. Quelle que soit mon aptitude à remplir mes objectifs, je ne perds pas de vue que la priorité reste donnée au plaisir de lire et de comprendre la pensée des auteurs.

2. L'OPTION DE LA LITTÉRATURE

Dans ce qui précède, j'ai formulé le cahier des charges de l'intellect, celui de l'éternel étudiant en moi. La chose importante dans ce programme un peu rigide c'est sa structure thématique, les quatre thèmes étant parfaitement en concordance avec mon existence actuelle. Tellement en concordance qu'au lieu de remplir trop consciencieusement des cases thématiques avec des livres, il serait plus avisé de rattacher mon sentiment de l'existence aux lectures du moment, en gardant en tête cette structure thématique. Cela atténuerait la tension propre à l'étude elle-même, objet extérieur, pour mieux libérer la spontanéité du projet personnel.

De même, le recours exclusif à des résumés d'ouvrages théoriques et critiques peut s'avérer impropre à stimuler la vie intérieure du lecteur. Cette méthode lourde, indispensable à l'étudiant et au chercheur professionnel, pourrait ne pas convenir à un homme vieillissant qui n'a plus beaucoup de temps devant lui et qui se dirige avec une certaine urgence vers la dernière interlocution.

Un bon court-circuit à la philosophie, - pour aller plus vite en somme ou pour en s'en évader de temps à autre, - c'est la littérature et la poésie, considérées alors comme la transposition des grandes idées qui hantent la conscience et l'imagination, comme le monde extérieur recueilli au cœur du langage. Il ne s'agirait plus pour moi de remonter la chaine des énoncés, de déceler les forces et les fragilités d'un certain argumentaire philosophique, mais d'entrer en sympathie avec les créateurs, de ressentir la force de proposition de leurs images, d'emprunter les voies de leurs analogies, de les accompagner vers l'Idée. 

Cette seconde option pourrait passer par la lecture d'essais de critique littéraire (voir dans la liste d'ouvrages ceux de Bachelard, Poulet, et Richard). La lecture devrait ici  chercher à ressentir la transgression métaphysique par laquelle les écrivains s'arrachent à la fois au prosaïsme de l'existence et à la tyrannie de la matière et de la vérité scientifique. Par ailleurs la structure du blog en quatre thèmes "existentiels" resterait à l'ordre du jour, même si je m'y rattache de manière souple et non dogmatique.

Une autre lecture intéressante consisterait à identifier et analyser les signes cette structure quadri-thématique (Cosmologie intime, Percepts, Autrui, Existence philosophique) dans :

- dans de grandes œuvres poétiques: Guérin, Rimbaud, Whitmann, Pessoa, romantiques anglais et germaniques;

- dans des romans, tels que la Recherche de Proust, L'Homme sans qualités de Musil, La Montagne magique de Mann, le Quatuor d'Alexandrie de Durrell.

- chez des ecrivains de prédilection dont toute l'oeuvre m'intéresse sans doute à cause d'une affinité intime : Giono, Gracq, Jouhandeau, en tête.

Une lecture transversale de ces romans, centrée sur les thèmes personnels, aurait en outre l'intérêt de susciter l'écriture intime. Mais il faudra faire des choix.

Gilles-Christophe, 29/09/20, dernière révision 26/08/21 

ALAIN DE LIBERA / LA VOLONTÉ ET L'ACTION



Lecture du cours dans l'édition Vrin (2019). Résumé court sur la page de l'éditeur et résumé détaillé de chacun des cours de l'année 2014-15 sur le site du Collège. 

Ceci n'est pas un résumé mais un commentaire très personnel, quelques réflexions suggérées par la lecture.

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L’une des erreurs majeures du discours philosophique est de confondre la logique (pour laquelle la conclusion du raisonnement est toujours contenu dans ses prémices) et la causalité, qui introduit la notion de temps, donc de changement, de transformation entre le début et la conclusion. Sitôt qu'un événement a dépend de b pour s'accomplir, on peut imaginer d'autres causes venant ultérieurement empêcher ou différer a de produire b. Cette remarque s'applique en particulier à l'analyse philosophique du processus de la volonté. La volonté commence par une volition, qui est un acte mental, et finit par la décision, un autre acte mental pouvant déboucher sur le faire. Ces actes sont successifs, liés au temps et à la durée, donc indépendants a priori de toute règle logique. Il ne faut donc pas confondre implication logique et conséquence causale. Partant, les notions de condition nécessaire et de condition suffisante des mathématiques ne s'appliquent pas stricto sensu aux énoncés séparés par une durée, aussi infime soit-elle. Cela concerne encore une fois la volonté qui est un processus. Sauf le respect qu'on lui doit, cette confusion des genres semble avoir fait dire n'importe quoi à Hobbes, déterministe radical. Et je trouve que A. de Libera, qui le cite amplement, ne souligne pas assez ce problème.

Le problème du libre-arbitre revient donc à s'interroger sur la nature des événements (causes) qui interféreraient avec les facultés propres du sujet dans le processus en question. Le déterminisme s'applique évidemment, - on ne voit pourquoi il en serait autrement -, mais les causes, internes surtout, fluctuent à tout moment. La liberté du sujet, l'amplitude de cette liberté, son degré comme l'on dit en physique, réside précisément dans sa faculté d'indétermination, donc de suspension de l'acte pour mieux faire jouer le concert des volitions qui le précède. Et si l'on devait attribuer à Dieu un rôle dans la volonté du sujet humain, si d'ailleurs l'on doit en attendre quelque chose, il est probablement non pas dans le passage de la volition à l'acte mais dans le spectre et le jeu réciproque de ses volitions. J'aime bien cette hypothèse.

Et l'on voit poindre à ce stade une autre une autre faille logique qui s'immisce insidieusement dans le discours : la régression à l'infini (regressus in infinitum). Selon A. de Libera, Hobbes dit qu’à l'instant t la volonté est entièrement nécessitée, c’est-à-dire entièrement déterminée par des facteurs externes et internes qu'on pourrait en théorie nommer. Une telle affirmation pourrait à la rigueur être considérée comme vraie selon les axiomes d’une certaine mathématique élémentaire. Mais qu'est-ce que cet instant t ? Dans la vraie vie, l'instant n'a aucun fondement comme point. L'instant dont parle le locuteur qui se risque très imprudemment à utiliser ce mot serait fait, d'emblée, d'une infinité d'instants. Alors lequel doit-on considérer de ces points qui n'existent pas pour un processus foncièrement temporel tel que le processus psycho-physiologique qu'est la volition ? Dans cet infiniment petit tout peut se loger, toutes les influences, toutes les inclinations. 

Retour à l'enthymème : « je pense donc je suis » où la majeure du syllogisme est absente, à savoir : « Celui qui pense est ». Je réalise que cette assertion (axiome ? proposition ?) aboutit à une définition très accueillante, mais aussi très floue et très arbitraire de l'être humain (quod), en aucun cas de la personne humaine (quid), et encore moins du soi (quis). Une définition générique en somme. Et pan pour Descartes! Ce n'était qu'une incidente.

La volonté envisagée comme un arc complet, un processus, par lequel la volition, sommet de l'arc, est « informée » en amont par l'intellect (délibération, jugement) et par le désir, puis déclenche en aval l'acte. Le temps s'introduit subrepticement dans le processus, je l'ai dit. On peut en rendre compte en disant que l'intellect via le jugement s'applique à l'avenir et qu'au contraire le désir se rapporte à l'immédiat. Mais ce qui me semble beaucoup plus pertinent c'est de dire que le temps qui passe est un véritable gouffre où tous les jugements et tous les désirs sont susceptibles de se précipiter. Jusqu’à l’échelle infinitésimale, le temps nourrit la volonté autant qu'il l'assèche. C'est cela le rôle du temps dans la volonté. Rien d’abstrait. Je pense même qu'une partie du processus est subconscient car la conscience n'est pas aussi sensible que le subconscient aux besoins du corps. Le sommeil et l'inconscient mettent l'intellect en sourdine nous rendant ainsi plus sensibles aux échelles infimes, qui sont celles du corps, et, partant, plus sensibles à la vraie durée (celle de Bergson).

Par ailleurs le désir semble lié à l'énergie vitale, promotrice de l'action, alors que la délibération intellectuelle a plutôt tendance à retenir le faire, serait-ce que pour se donner encore du temps. Je placerai donc personnellement le désir bien avant l'intellect dans le schéma. On est loin de la raison et des critères de l'intellect.

Ambiguïté de la définition du dernier stade de l'arc de la volonté, à savoir le passage à l’acte. Qu’est-ce que cet acte exactement ? Est-ce le faire, c'est-à-dire la modification du milieu extérieur (par exemple une décision qui concerne autrui) ou est-ce un pur acte mental, c'est-à-dire un état arrêté de la conscience, un état stabilisé, stable ou métastable, qui permet, dans une certaine mesure, de ranger quelque part dans son esprit la forme ultime, le produit, du processus, sous réserve d'avoir à y revenir plus tard ? Dans l'acte mental volontaire, on voit bien que l'intellect est en quelque sorte poussé à se déterminer. C'est typiquement ce qu'on fait quand on doit adopter une opinion, une croyance, une foi (exemple : le pari de Pascal qui me semble l'archétype d'un acte volontaire).

VN (vouloir que ne pas), comme vouloir (V), est un arrêt de la volonté. NV (ne pas vouloir) est une manière de remettre à plus tard. N'est-ce pas quand même également un acte ? Par exemple chez l’aboulique (akrasie), même la perspective d'un bien assuré peut aboutir à un NV. 

La grande question serait de savoir si l'on peut simultanément vouloir et nouloir (cas du Christ et de la prière de Gethsémani). Mais est-on capable d'y apporter une réponse humaine puisque le terme simultanément n'a pas de signification absolue ? Il est certain qu'il nous apparaît souvent qu’au même moment de la vie on a en nous le V et NV, qui d'une certaine manière ne sont pas incompatibles si nous manquons d’information ou si nous sommes dépourvus de désir. Mais avoir simultanément le V et le VN, le vouloir et le nouloir, deux volontés fermes qui s'opposent, c’est plus troublant et c'est irrationnel en apparence. En matière de morale, le péché du chrétien c'est l'affrontement du principe d'abstention affirmée qui est nouloir (VN) et la trangression du même principe, qui est vouloir (V). Autre façon de voir : le péché n'est-il pas en vérité une oscillation, qui ne peut se stabiliser, entre le VN et le V, chacune des volontés occupant sa place propre dans le temps ? Mais qu'est-ce que ça change au fond, le seul problème important étant l’application du principe d'incompatibilité entre nouloir et vouloir au problème de Gethsemani donc, plus largement, celui de la liberté du vouloir ?

Le mystère demeure. Mais si liberté de la volonté il y a, où réside-t-elle exactement? Si l'on est capable simultanément de vouloir et de nouloir, je dis bien simultanément (notion intangible pour l'esprit encore une fois), cette faculté d'indétermination radicale qui nous caractérise en tant qu'espèce, quel avantage nous procure-t-elle sur le reste de la création? Je n'ai évidemment pas de réponse à suggérer mais pour conclure je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement entre la volonté et l'amour, une autre faculté humaine, un autre processus. Dans la passion amoureuse il n'est pas rare en effet d'avoir l'impression d'aimer et de haïr en même temps. Chacun l'a vécu.

Je complète ce billet après une relecture des derniers chapitres, particulièrement ardus, consacrés à la comparaison des modèles "logiques" aristotélicien et augustinien de la volonté. Lors de mes premières lectures, je ne comprenais pas l'insistance de l'auteur à développer le premier, alors que le second s'impose pour moi d'emblée. Je comprends mieux maintenant pourquoi une comparaison était nécessaire afin de bien saisir la pertinence du second.

Passant sur le détail et même sur la conclusion, je me contenterai de reprendre mon argumentation plus haut sur les "failles logiques" qui peuvent s'immiscer dans le discours et en obscurcir le sens et j'en ajoute deux [j'entends ici "logique" au sens large. Ce peut être un simple défaut de la structure linguistique] : 

(1) la notion d'être (encore elle!) n'a de sens qu'au présent. Ce qui sera n'est pas, ce qui l'a été non plus.

(2) Le vouloir suppose un "faire" qui le suivra, quelle que soit la nature de ce faire. On peut d'ailleurs imaginer une langue (elle existe peut-être) qui ne dissocie pas le vouloir du faire, qui ne connaisse qu'un mot: le "vouloir faire". Donc, ces deux actes qui pourraient nous apparaitre incompatibles au temps t selon le principe aristotélicien de non-contradiction, à savoir: "vouloir que p" et "vouloir que non-p", en même temps ne le sont pas puisqu'ils concernent toujours l'instant d'après. 

En résumé, je trouve que beaucoup de théories que De Libera décrit dans ce cours sont fondées sur des failles logiques ou des défauts des langues (vocabulaire, structure) dans lesquelles ils ont été exprimés. En définitive, trop de faux problèmes et de fausses controverses. Et encore, j'ai laissé Dieu et la théologie de côté dans ce commentaire ! Ce thème de la volonté s'y prête particulièrement et je me demande si l'auteur n'aurait pas pu franchement l'aborder dans cet esprit critique.

Gilles-Christophe, juin 2020

JUILLET 2018 - Détachement - Connaissance première - Ma liberté - Les mots indiscernables - La pornographie de Gombrovicz - Sylvie de Nerval - La volonté floue - Le raisonneur invisible -

Détachement

Tout le tourment vient de cette volonté forcenée de m'appartenir. Alors qu'il suffirait d'user de moi comme d'un esprit-corps non rattaché personnellement au cosmos, de ne retenir de moi que l'esprit philosophique qui, une fois le moi mis entre parenthèses, se sent capable de décrypter de manière désintéressée les signes du monde. Abandonner en somme - et le moment est arrivé - toute préoccupation existentielle. Détachement volontaire, non seulement des autres, cela ne date pas d'aujourd'hui, mais de celui que j'appelle moi, phase essentielle dans la conquête de la dignité intérieure. 

Note ajoutée à la révision (juin 2023). Je retrouve ici la recherche obsessionnelle du statut mixte d'une objectivité radicalement subjective, par laquelle le sujet revendique pleinement son pouvoir d'exploration poétique du réel tout en élidant de lui ce qui y fait obstacle, c'est-à-dire le soi proprement dit, le souci d'être et de devenir, la peur de la mort, le besoin du salut. J'en suis toujours là quelques années plus tard. Je n'en démords pas et, sur cette conviction fermement établie, je devrais maintenant entrer en matière.

Connaissance première

Ayant perdu toute obsession du salut personnel, j'ai restreint la pratique de la philosophie à l'acquisition méthodique d'une connaissance première, d'une gnose à emporter le jour venu, et que j'aurais patiemment édifiée à partir de principes généraux hérités des métaphysiques antiques (Platon, Aristote, Stoïciens et Épicuriens) et des cosmologies contemporaines (ouvrages de Jacques Merleau-Ponty). Rien à voir à première vue avec le sort de ma petite personne. Et pourtant ce travail si distancié de l'esprit ne vise-t-il pas à inscrire ma trajectoire individuelle dans le temps, et, le comble: hors du temps ! 

Note à la révision (juin 2023). C'est l'écueil évidemment mais il n'est pas fatal. La gnose, quels que soient son thème et ses fins, transcende, par nature, les préoccupations purement existentielles du sujet et efface sa présence au cœur même de son étude. Idéalement, ce n'est pas sa propre trajectoire qu'il inscrit dans et au delà du temps, c'est celle d'un Tout duquel il finira par ne plus se distinguer.

Ma liberté

Ma liberté, si cette expression veut dire quelque chose, s'accroît du moi que j'en soustrais. Elle est une aspiration au vide, se vit dans l'immédiat présent et ne se prolonge ni dans le futur ni dans l'ailleurs. Elle ne suppose aucune exigence intérieure. Pour l'exercer je dispose de mes sens, de mes sentiments et de la culture dont je suis le dépositaire, avec, en premier lieu, la langue française.

Les mots indiscernables

La pensée philosophique est un chemin que l'on trace entre les repères instables que sont les mots. Souvent un mot prend une valeur tellement magique qu'il s'installe dans la place sans qu'on y prenne garde, allant même jusqu'à se rendre indiscernable. Ainsi pour le mot "libre". La logique devrait traquer dans les propositions les mots qui ont perdu toute signification objective.

La pornographie de Gombrovicz

On est tenté dans un premier temps de faire la comparaison avec les Liaisons dangereuses. Deux adultes pervers essaient de s'introduire dans la vie de deux jeunes gens au sortir de l'adolescence, qui les fascinent par leur beauté animale et par l'attraction qui semble les pousser l'un vers l’autre. Si l'on s'en tient à l'épure, le récit décrit la manipulation de cette partie de l'instinct érotique de la jeunesse qui répond au désir des adultes vieillissants. Ces deux mondes érotiques, la jeunesse et la maturité, ne sont pas fermés l’un à l'autre. L'adulte mûr frappe à la porte de l'adolescent mûr, lequel se montre sensible à cette sollicitation et finit par y répondre au-delà de toute attente et en pleine réciprocité. Il ne s'agit pas ici, évidemment, d’en venir à un quelconque acte sexuel. La pornographie, érotisme poussé dans ses derniers retranchements, mérite mieux. Il s'agit ici de symboliser de manière sophistiquée, et en poses presque artistiques, l'amour physique le plus échevelé pour être en mesure de le dépasser, puis, dans un second temps, de passer à un acte à la hauteur de la situation, à savoir le crime, le crime complice commis envers un tiers.

L'analogie avec les liaisons dangereuses est finalement superficielle. Il y a bien dans l'un et l’autre cas une manipulation des jeunes par les adultes, mais dans la Pornographie, les jeunes sont conscients de ce que les adultes attendent d'eux et ils y répondent en connaissance de cause. Ils sont conscients de leur pouvoir d'attraction et dépourvus de naïveté malgré leur caractère primitif. Ils partagent le désir du mal avec leurs aînés. A la différence des Liaisons, l'enjeu n'est pas ici la possession érotique du faible par le fort. Il est transcendé par un crime accompli en toute complicité à l'encontre d'un tiers et au nom d'un pacte avec le diable.

Sylvie de Nerval

Sylvie de Gérard de Nerval, que je relis pour mieux comprendre l'essai de Georges Poulet: Sylvie ou la pensée de Gérard de Nerval (dans Trois essais de mythologie romantique). L'amour idéal et inaccessible (Aurélie la comédienne à travers Adrienne la religieuse à moins que ce ne soit le contraire) versus l'amour réel et familier (Sylvie). C'est un lieu commun qu'on retrouve dans tant de romans mais aussi dans les vraies vies, comme la mienne. Pour moi les amoureuses étaient des amoureux, mais le dilemme n'a rien de fondamentalement différent. Quand on est jeune et très idéaliste, comme je l'étais, on met la barre très haut. Et, bien entendu, on la met à une hauteur telle que la réalisation (comme de vivre ensemble pour la vie) en devient impossible. L'idéalisme amoureux est une forme de négation de la réalité qui renvoie l'amoureux à lui-même, qui l'emprisonne dans son dilemme et le dispense d'engagement avec l'autre.

Conflit si banal, si automatique chez certains, que l'intérêt et la beauté de la nouvelle de Nerval ne réside évidemment pas dans cette tension entre idéal et réel. Non, la réussite de cette œuvre majeure de la littérature française réside pour moi dans le rendu de la fuite du temps s'effectuant selon plusieurs paliers, dont les trois principaux sont les suivants :

Temps A (suggestion). Le narrateur parisien, amoureux transi et éconduit d'une comédienne (Aurélie) est rappelé à son enfance dans le Valois à la lecture dans le journal de l'annonce d'une fête traditionnelle; arrivé sur place, il retrouve certains des protagonistes de son enfance dont Sylvie, une dentellière du pays qu'il a aimée autrefois et à laquelle il reste attaché par un amour véritable, partagé, raisonnable et néanmoins toujours chaste.

Temps B (résurrection). Grâce à elle, l'évocation du passé fait ressurgir l'amour idéal pour Adrienne, jeune fille de l'aristocratie vouée au couvent, amour impossible qui s’identifie confusément à celui que Gérard ressent pour Aurélie la comédienne.

Temps C (désillusion et dégradation). Temps majeur qui se décompose lui-même en plusieurs paliers. Retourné plus tard encore sur les lieux, ceci à plusieurs reprises, le narrateur assiste à l'installation progressive de Sylvie dans sa nouvelle vie de femme mariée, emportant avec elle les souvenirs de l'enfance.

Cette fragmentation du temps vécu du souvenir aboutit, en dernier ressort, à sa dégradation irréversible. Le temps de la résurrection qui, chez Proust, est associé à une transcendance salvatrice, est au contraire ici le point culminant d'une courbe qui conduira à la chute. De ce point de vue, Nerval est plutôt dans la lignée de Chateaubriand et des Mémoires d'Outre-Tombe et de la Vie de Rancé. Mon analyse est bien sûr trop réductrice : ces paliers multiples du temps de la mémoire se télescopent dans le récit ; Nerval passe subrepticement d’un palier à un autre, pour revenir plus tard au premier, et prend ainsi soin de nous égarer dans les méandres de son propre esprit (souvent Chateaubriand le fait aussi).

Puisqu’il s'agit ici, principalement, de rendre compte des résonnances des lectures dans mon aventure intérieure personnelle, je voudrais noter que pour moi, contrairement à Nerval et à Chateaubriand, et à l'instar de Proust, la mémoire doit devenir une force positive et, loin de désagréger le temps, doit le constituer, l'instaurer, lui conférer sa véritable consistance. Peut-être que le temps est uniquement mémoriel, immatériel, sans fondement ailleurs que dans l'esprit. Peut-être le temps n'est-il qu’un voyage spirituel, un voyage dont je n'arrête pas de faire les préparatifs sans me décider à prendre la route.

Bien que j'insiste ici sur les implications métaphysiques de cette nouvelle, ce qui m'a le plus séduit c'est l'infinie humanité qui se dégage du récit. Sa douceur, son respect pour les êtres, pour les humbles, pour les traditions populaires remontant au paganisme. Son ancrage dans la géographie du terroir historique qu'est le Valois (entre autres : les influences florentines apportées par les Médicis, Henri IV et Gabrielle d'Estrées, la tradition néo-classique des philosophes du XVIIIe, particulièrement en matière architecturale). Pas d'intellectualisme ici, juste une vision fraîche et réconciliatrice de la vie provinciale, rousseauiste en diable, idéalisée donc, mais vraie car sans clichés ni notations trop folkloriques. Le plaisir du lecteur est lié ici à la redécouverte en lui d'une force aimante, presque virginale, trop souvent délaissée mais encore intacte.

La volonté floue

C'est vertigineux de réaliser qu'au même moment nous pouvons vouloir, ne pas vouloir, et vouloir que ne pas. La concomitance de ces trois possibles en nous donne du crédit à l'idée que nous sommes libres de vouloir ce que nous voulons. Mais cela rend compte aussi, a contrario, de la situation si fréquente d’irrésolution dans laquelle les possibles s'affrontent simultanément dans notre for intérieur nous laissant impuissants à faire un choix, et, qui plus est, à passer à l'acte. Si l'on y regarde de plus près, on perçoit le biais qui nous laisse croire que tous les possibles siègent en nous en même temps, et qui nous donne ainsi l'illusion de la liberté. En fait l'arbitre permanent qui est en nous, est à chaque instant soumis à des déterminants multiples et fluctuants ; il est littéralement ballotté par eux à l'échelle infinitésimale du temps. Il en résulte, selon le cas, une impression de totipotence ou, au contraire, d’impuissance. Lorsque nous ne sommes pas contraints à agir, c'est l'impression de liberté qui domine : tout est encore possible, alors pourquoi ne pas faire durer le plaisir. Lorsque l'action s'impose au contraire et qu’il faut prendre une décision, c'est alors l'impression d’impuissance qui prend le dessus. Mais dans les deux cas le sujet-agent n'est rien autre que le lieu où toutes les causes déterminantes s’affrontent selon un rapport qui fluctue à chaque instant t. La volonté (ce que du moins la philosophie appelle volonté) n'est donc pas libre et, pis, ces deux notions n'ont selon moi rien à voir l'une avec l'autre.

La seule différence qualitative qui existe entre les gens, de ce point de vue, réside dans deux facultés (ou groupes de facultés) individuelles : (1) l'aptitude au jugement sur la situation présente qui identifie et analyse les raisons et les causes qui nous inclineraient d'un côté plutôt que d'un autre ; (2) la force de volition, ou acte de la volonté permettant de franchir le pas séparant le vouloir du faire. C'est d'ailleurs à cette deuxième faculté que se rapporte le sens familier du mot volonté. Tout est ici si subtil qu’on a vite fait de conférer à la volonté humaine, considérée de manière grandiloquente dans les vieux traités de philosophie comme une "puissance", une dimension métaphysique que, selon moi, elle n'a pas. Je me contenterais volontiers de l'analyse psychologique contemporaine.

J’oserai dire que le mot de volonté restera à jamais flou au plan philosophique comme celui de liberté. Chacun de ces mots nous a été légué comme un tonneau des Danaïdes qu'on n'en finit pas de remplir et de vider. La lecture de A. De Libera (Cours de 2016 du Collège de France sur la Volonté et l'action) aura au moins servi à dégonfler une baudruche de plus.

Le raisonneur invisible

Le temps est syllogisme, et le syllogisme temps. Le syllogisme introduit la qualité dans le concept de temps. C'est un temps utile, un temps qui progresse. C'est du temps humain et dans l'absolu il pourrait être contracté jusqu'au zéro. On peut en effet imaginer que pour Dieu, pour lequel le temps n'existe pas, l'activité syllogistique, aussi complexe soit-elle, est instantanée, au sens absolu du terme. Et il est si tentant, pour nous aussi, d’abréger le temps du raisonnement et de la délibération (à défaut de les abroger), si tentant de se dispenser de la mineure ou de la majeure des syllogismes, si excitant de sauter ainsi d'un enthymème à un autre, et ainsi jusqu'à élider toutes les étapes intermédiaires. Si tentant de se laisser guider par le désir de ce qui suit, celui de transgresser, et de permettre ainsi au péché de s’insinuer dans le processus. Le désir humain est-il une stratégie de raccourcis pour d'atteindre plus vite au but, à la jouissance ? Comme le désir, l'intuition se présente sous la forme d'une synthèse spontanée, irraisonnée et s’imposant immédiatement à la conscience. Quel est, dans les deux cas, le raisonneur invisible qui fait le travail pour nous ? L'inconscient ? Le Daimon ?

Le regard croisé des Formes

La plénitude est implicite dans le concept de "choses". Pas une chose sans une infinité de choses. Elles s'affirment ensemble, dans un réseau qui fait prise, d'emblée. Qui dit une dit une infinitéUn élément du monde sensible, quel qu'il soit, n'est pas à lui-même sa propre justification. Sa présence au monde n'est établie que par d'autres présences. Cette intuition respecte le jaillissement et le foisonnement de la Création qui n'est pas une fabrique rationnelle, respectant des étapes, mais l'effet instantané des regards croisés que les Formes se portent les unes sur les autres. D'emblée tout est là ; d'emblée toutes les choses sont engendrables. Le temps est artéfactuel et, partant, l'évolution l'est aussi.

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Révisé en juin 2023

JUIN 2018 - L'idée du jour - Le ça de ma pensée - Un en un - Pour l'apprivoiser - Raison et liberté - Flottement du vouloir - Cause physique et condition logique - Gâchis et gaspillages - Avatars, hypostases, jouets

L'idée du jour

La liberté que je me suis octroyée c'est de parcourir à grandes enjambées des champs entiers de la philosophie pour dénicher l'idée du jour. Ces trouvailles philosophiques, une fois rassemblées, finissent par construire un système personnel que j’ai l'impression d'avoir édifié de mes propres mains. Je voulais dégager ici l’idée qu'on peut faire de la philosophie un usage personnel sans être un spécialiste. On n'est pas tenu d'être fidèle aux textes ni de se revendiquer d'une école de pensée. On joue avec les idées pour le plus grand profit de l'esprit.

Le ça de ma pensée

Une intense curiosité me porte vers la métaphysique, mais je ressens l’extrême lourdeur de la démarche intellectuelle que cela suppose. J'aimerais pouvoir m'y frotter en poète, comme l'aile de l'oiseau au contact de l'air. Je me crois en quête d'une vérité qui me collerait à la peau comme si elle m'était destinée de toute éternité alors qu'elle n'est que d'emprunt et le résultat d'un pur mimétisme. La pensée dont je m'imagine l'agent est plutôt un ça dont l'originalité ne réside pas dans des idées formulées avec mes propres mots mais dans l'expression de la vie la plus authentique et la recherche de la plénitude. C'est d'une autre vérité qu'elle est le signe, non pas la réponse à des questions que je me pose, mais le sillage d'une sorte de bateau ivre. L'agent de pensée que je suis exploite le bouillon d'idées dans lequel il a été jeté par hasard et l’être auquel cette pensée se rapporte, et qui survit par elle, est un soi sans durée mais qui, tout de même, suit un cours.

Un en un

Flottement et indécision, telles sont les apparences de mon comportement dans cette phase particulière de ma vie. Certains m'ont fait comprendre que je manquais par là de fiabilité. Ils ont raison, c'est que je redeviens libre, maître de mon vouloir et de mon non-vouloir. Je reprends la main et aucune instance extérieure ne me dictera plus mon comportement. Un en un, tel Dieu, je finirai par ne plus dépendre que de moi. Je comprends que ça puisse déconcerter.

Pour l'apprivoiser 

Je me réfugiais alors dans l'imaginaire par la lecture et mon existence était dédoublée. Efficace et responsable dans mon travail, j'étais à la fois ici et ailleurs, accompagné en permanence par mes amis les écrivains, notamment par les romantiques. La vie authentique était à l'intérieur: étanchéité presque parfaite entre ce que j’étais et ce que je consentais à montrer de moi. Lorsque j’ai quitté le monde du travail, la réalité m'est enfin apparue acceptable et la lecture des philosophes m'a rétabli sur mon assise. Maintenant elle m'aide à mieux apprivoiser la mort. J'ai compris que la philosophie n'est pas uniquement une grammaire de l'intellect et une discipline pour mettre de l'ordre dans la pensée mais aussi une évasion vers l'idéal et vers la transcendance. Ce n'est pas pour rien que j'ose me ranger du côté des "platoniciens". 

Raison et liberté 

La Raison s'entend ici comme principe d'explication suggéré par la réflexion et s'appliquant à toutes les situations auxquelles l'existence peut nous exposer, y compris les plus complexes. La raison ainsi définie est subjective: elle s'autorise à tout comprendre, non pas à connaître stricto sensu, non pas à identifier objectivement des causes, ni même à émettre une opinion relayée par le bon sens, mais à orienter le jugement en vue d'une meilleure conduite dans l'existence, envisagée dans toutes ses implications. Le non est l'outil majeur de la raison car il permet d'éliminer les mauvais arguments. La liberté, notion relative, se mesure à la la capacité de dire non.

Note ajoutée à la révision (juin 2023). A cette époque je ressentais une certaine culpabilité à devoir dire très souvent non et je ne réalisais pas à quel point c'était l'expression de ma liberté recouvrée. La raison, en tant que faculté de bien juger, n'est soumise qu'à la conscience, c'est pourquoi elle est l'outil de notre liberté. Quant à la négation comme méthode d'accès à la lumière, j'en fais désormais un usage étendu puisque je l'applique à la recherche du sentiment de l'Unité primordiale.

Flottement du vouloir

Lorsque j’examine au temps t  le fonctionnement de ma propre volonté, je vois bien que le vouloir (forme mobile) est un acte mental destiné à générer un voulu (forme fixe) en vue d'un acte extérieur (le faire). Dans cette séquence complexe, le jugement (la raison) sert de guide incertain, peu sûr de lui. Au temps t donc, je me mets en demeure de prendre position par rapport à mille questions dont certaines émergent comme de vrais problèmes auxquels j'apporte simultanément quatre réponses : (1) je voudrais, (2) je ne voudrais pas, (3) je voudrais ne pas, (4) je remets la réponse à plus tard. Lorsque l’horizon du faire ne se profile pas de manière impérieuse, mon indécision peut macérer dans son propre jus, jouir d’elle-même. Qu'il est bon en effet de ne pas vouloir, ou plutôt de laisser au vouloir, en tant que processus, tout ce qu'il a de conditionnel !

Cette mobilité et ce flottement du vouloir sont-ils autant de signes de la liberté humaine ? Oui, quand elle ne nuit pas à la conduite de la vie, ce qui est mon cas actuellement. Est-ce une liberté de nature métaphysique, quelque puissance qui m'a été concédée de toute éternité en tant que membre de l’espèce ? Cette idée me plaît assez, mais je ne veux pas me forcer à y croire. La seule chose que je puis affirmer aujourd’hui c'est que le vouloir, en tant que voulu hypothétique, n'est en rien aliéné à la nécessité. Le voulu, - c'est-à-dire le vouloir qui finit par se figer en une forme prête à s’engager dans le faire, - peut être décrit comme le produit combiné du jugement et de l’énergie vitale. Il n'est pas lié lui à une nécessité, à l'effet implacable de causes immédiates. Au contraire, son déterminisme (tout relatif) m’apparaît comme l'effet du futur sur le présent. On s'engage dans le présent en anticipant ce que pourrait être l'avenir mais on n'est pas contraint à le faire, donc on n'est pas contraint à le vouloir vouloir ni à vouloir le vouloir.

Est-ce que Dieu ne nous obligerait pas un peu quand même ? Au moins dans certains cas, dans certains secteurs de notre volonté ? Au niveau individuel, c'est très improbable. Et c'est ici le seul plan qui m’intéresse car s'agissant de toute l’espèce, il est certain que l'homme est moins « nécessité » que l’animal, qu’il a acquis cette liberté de moduler son vouloir et son agir sur les anticipations fluctuantes de l'avenir et pas seulement par réflexe et automatisme. Est-il besoin de l’écrire ? Oui.

Cause physique et condition logique

C'est une déficience courante de l'esprit que de confondre cause et condition. Cette confusion en entraîne une autre: celle entre causalité et logique, entre production d'un événement et inférence d'une proposition. Ainsi, quand on parle de condition nécessaire et suffisante, notion logico-mathématique, on pense à tort cause nécessaire et suffisante. Une cause n'est rien qu’une cause, tandis qu'une condition a deux statuts différents selon les règles de la logique. Ainsi, une proposition p est-elle une condition nécessaire à la proposition q, si q ne peut être vrai qu’à condition que p soit vrai. Mais cette condition peut ne pas suffire à elle seule pour faire que q soit vraie. Une proposition p est une condition suffisante à la vérité de la proposition q si elle suffit à elle seule pour que p soit vrai. Une condition suffisante au point de vue logique est-elle nécessaire ? Non par forcément car il peut exister d'autres conditions suffisantes autres que q. On peut donc définir un troisième statut : celui de condition nécessaire et suffisante, définissant une proposition p sans laquelle q ne peut être vraie et qui suffit à elle seule à valider q. À noter, que dans ce cas, q a aussi pour p le statut de condition nécessaire et suffisante. Parfaite réversibilité qui montre bien que la condition logique n'a rien à voir avec la causalité, laquelle implique une séquence temporelle, complétement étrangère à la logique propositionnelle. C'est comme si l’esprit, fréquemment, spontanément et erronément, assimilait l’inférence logique à un mécanisme physique impliquant une séquence temporelle.

Gâchis et gaspillages

Les gens dits entreprenants, ou d'initiative, capables d’imprimer à tout prix leur marque sur le réel, donnent l'impression d'user d'une grande liberté. C'est à voir. On pourrait juger au contraire qu'ils usent du réel à défaut de pouvoir user d’eux-mêmes. Le soi envisagé comme sujet d'usage prévient selon moi bien des gâchis et bien des gaspillages.

Avatars, hypostases, jouets

Ces dernières années, j'ai nié avec insistance l’unité de l’être dans le temps et noté à quel point m'étaient étrangers ces avatars de moi qui se sont succédé dans le passé. Aujourd'hui je suis convaincu que l'unité de mon existence est purement rétrospective, qu'elle ne résidait pas dans un projet mais dans une fin dont mes diverses hypostases n'eurent pas conscience et qui a quand même pu faire son chemin à travers elles. A présent, ces personnages prennent un nouvel intérêt en tant que jouets d'un dessein qui les dépassait. Au delà de leurs inconséquences, ils ont eu le mérite, qui me les rend plutôt sympathiques, de préserver les possibles. 

gilleschristophepaterne@gmail.com
Révisé en juin 2023


AVRIL 2018 - Mon viatique - Après la pause - L'imaginaire de notre jardin - Autres objets de nos désirs


Mon viatique

Ces dernières années, j'ai élaboré un viatique de métaphysique à usage personnel. Un certain équilibre a été atteint dans ma croyance et il serait spécieux d'aller trop loin. Résumons.

1. Je suis réaliste au sens scolastique, c’est-à-dire que je crois à la réalité extra mentale des Universaux, des Idées, des Formes et des concepts dits premiers. Extra mentale c'est-à-dire émanant d'un intellect non humain  (pour simplifier) et rendant compte de la création du monde matériel. Mon modeste intellect est donc relié à un Intellect suprême qui m'en impose par sa présence au delà de moi, et qui me rassure au point d'installer en moi une forme de quiétude. 

2. Je suis dualiste car je crois que matière et esprit forment un tout sans se confondre, que la matière dérive de l'esprit qui la précède dans la Création et qui demeure son commensal dans l'éternel présent. Je ne parle pas bien sûr ici du Saint Esprit de la Trinité chrétienne mais bien du principe originel,  de l'esprit des spiritualistes, de l'immatière si l'on préfère. Comme corollaire, je crois que le monde matériel, tel que la science le connaît, est, par principe, entré dans le temps, qu'il a eu une origine et qu'il aura une fin mais que l'esprit, lui, perdurera. Au plan logique il ne peut pas en être autrement. Mais la logique n'est peut-être qu'humaine.

3. Je vis sous le double ciel de l'immanence et de la transcendance. Je les vis dans la simultanéité ou l'alternance et non pas dans la contradiction. Je me figure le monde proprement humain comme étant scindé en deux strates où immanence et transcendance jouent chacun leur partie:

- le monde des intelligibles,  formée des Formes, Idées, et concepts premiers auxquels nous accédons individuellement à la suite d'un processus continu d'apprentissage; monde immanent définissant l'orbe croissante dans laquelle s'inscrit notre existence mais nous rattachant aussi au monde absolu des Intelligibles dont j'ai dit plus haut qu'il était source de quiétude.

le monde matériel, complexe, étrange, non appréhendable par l'individu, épouvantable même (le silence des ces espaces infinis etc.), incommensurable en tout cas à l'existence humaine, nous poussant à créer des microcosmes, des niches, des atmosphères et des liens à notre dimension ou à nous en remettre, une fois pour toutes et aveuglément, à la protection de l'Être imaginaire qui pourrait tirer les ficelles, les deux types d'attitude n'étant évidemment pas incompatibles.

Et maintenant, que vais-je faire  ? 

Note à la révision (juin 2023). Ce viatique "spirituel" esquive la question de Dieu et la considère même avec une certaine ironie. Idéaliste au sens platonicien, je m'en tiens aux Idées et aux Formes, accessibles à l'intellect humain, et à un dualisme dans lequel l'esprit précède logiquement la matière. L'ontologie y a peu de place car je me défiais alors de la notion d'être comme de la peste, persuadé qu'elle ne pouvait s'appliquer à la personne. Depuis je me suis laissé convaincre que l'être n'était pas une simple commodité grammaticale mais une forme de préscience, inscrite au cœur du langage humain, de la réalité de l'être au-delà de l'existence matérielle. Un autre correspondance que celle des Idées et des Formes me semble donc pouvoir être postulée entre l'intellect humain et "l'autre monde"; celle avec ce qu'il est convenu d'appeler l'être unique, l'Un, lequel, sans jamais pouvoir être atteint par cet intellect humain, peut faire l'objet d'une recherche désintéressée, au nom du simple don d'existence, et selon un double mode abstractif (via l'induction) et apophatique. 

J'ose donc désormais la mystique, notamment dans sa version rhénane, au risque de me ridiculiser auprès des sceptiques et des rationalistes. Je reste cependant encore agnostique, ne voulant pas me reposer sur une foi définitive et restant toujours indifférent au salut individuel. Ne croyant pas qu'il existe un soi pérenne, je ne peux envisager ni le salut individuel ni une vie personnelle au delà de la mort. Plus encore, il est évident pour moi qu'il existe une totale étanchéité entre Dieu,  quelle que soit sa définition, et la Créature, donc aucune communication possible. En dehors de son exigence intellectuelle notée plus haut, l'attitude mystique vise aussi à atteindre par l'imagination le néant originel, ceci pour alléger l'angoisse de la mort ou, plus sagement encore, pour la transformer en une aspiration à la mort.

Le christianisme primitif ne me rebute pas car j'ai compris que le dogme trinitaire était le constat de la limite de l'intellect humain à formaliser la plénitude de l'être unique. J'envisage la matière théologico-philosophique chrétienne, jusqu'au Moyen-âge tardif, comme un prodigieux et merveilleux effort collectif pour spécifier Dieu dans des langages désespérément humains (hébreu, grec et latin). C'est à ce titre qu'il m'intéresse. Par ailleurs j'assimile spontanément et intégralement l'immatière (ou esprit éternel, ou esprit originel) au Dao (ou Tao), ce qui m'entraîne sur des terreaux spirituels complémentaires tout aussi passionnants.

Après la pause

Cette pause post-hivernale, faite de jardinage intense entrecoupé par la lecture de Jouhandeau et de Cioran, doit maintenant céder la place à une nouvelle phase d’étude philosophique calquée sur la matrice en trois points exposée plus haut. Deux maîtres essentiels évidemment : Platon et Aristote. Mais aussi la synthèse médiévale qui en est faite par Alain de Libera dans ses cours du Collège de France, et, toujours et encore, Bergson. Je crois que la lecture de Bergson, notamment de L’évolution créatrice me permettra d’approfondir ma réflexion sur la dualité (ou l'association) matière-esprit, d’une part et sur le vivant, d’autre part. J'ai d'ailleurs omis d'inclure la question de la vie dans ma profession de foi spiritualiste.

L'imaginaire de notre jardin 

Ce jardin est le théâtre d'un certain imaginaire que je partage avec T., un imaginaire peuplé d'esprits élémentaires qui finissent par échapper à notre vigilance tant ils sont nombreux et désordonnés. J'aimerais y reconnaître les formes fantastiques ou mythologiques évoquées dans une certaine littérature et qui traduisent l'attachement de l'homme à la nature, aux plantes, aux animaux, aux éléments, au temps et à l'espace. Je cherche les signes de rattachement du microcosme au macrocosme. Je m'y perds, c'est inépuisable.

Aujourd’hui, fort de mon ignorance et de ma naïveté, je pourrais personnaliser ce jardin, lui infuser la substance imaginaire dont je suis fait. J'en prends conscience, de manière très incidente, en lisant les commentaires de Marie-Claire Bancquart, sur la Rôtisserie de la Reine Pédauque d'Anatole France (collection de La Pléiade). Mon attention est attirée par les esprits élémentaires que le fol Astarac voit partout : sylphes de l'air, ondines de l'eau, salamandres du feu, gnomes de la terre. À ceux-ci il faudrait ajouter toutes les divinités ou semi-divinités des anciennes mythologies qui se cachent dans les arbres, les forêts, les jardins, celles des Métamorphoses et de l’Âne d'or.

C'est l'esprit de la Renaissance encore attachée à la culture gréco-latine, ce sont les correspondances universelles, c'est l'analogie entre macro et microcosme. Ce sont les délires de l'illuminisme, de l’ésotérisme et de l’hermétisme, telles qu’ils revivront encore dans les fins de siècle ultérieurs, notamment, dans la Rôtisserie, à la fin du XVIIIe. Dans ces ouvrages je voudrais pouvoir puiser le sentiment de ma pleine appartenance au microcosme de notre jardin, et renforcer son lien organique avec le cosmos.

Autres objets de nos désirs

Le désir, au moment où il est ressenti, aspire à un objet qui n’a pas encore de substitut dans notre imaginaire. Passé un certain âge, nous construisons sans relâche ces substituts mentaux aux objets de nos myriades de désirs. La vieillesse, ce n'est pas tant l’asséchement du désir que la recréation du monde dans l’enceinte en expansion de l’âme. Certes, c'est plus facile au milieu d'un beau jardin et dans une belle maison que dans une prison. Mais le prisonnier est doté de ce même pouvoir de création imaginaire. Et l’âme du vieillard devient si riche qu'elle finit par se répandre dans le monde. Le mouvement du désir est alors retourné : le monde vient à lui et non lui au monde. Partant, le monde n'est plus à posséder mais à accueillir.

gilleschristophepaterne@gmail.com
Révisé en juin 2023